Lors d’un pluvieux samedi de janvier, j’ai encore une fois décidé de me rendre en Allemagne pour me changer les idées. C’est pourquoi j’avais pensé me rendre à Heidelberg pour assister à une performance du Quatuor Esmé. Celui-ci se produisait alors dans le cadre du Streichquartettfest de Heidelberg qui a rassemblé plusieurs ensembles de musique de chambre tout au long de la semaine. Donc, voici ce que je retiens de cette journée.

quatuor Esmé
Jiwon, Wonhee, Yuna & Yeeun forment le quatuor Esmé.

 

Ma rencontre avec le Quatuor Esmé

Pour commencer, je dois dire que d’aller à des concerts et écouter de la musique, c’est bien. Mais aller à la rencontre des musiciens et pouvoir découvrir leur personnalité ajoute un élément de compréhension. En échangeant quelques mots avec eux et en jaugeant leurs réactions c’est en fait rajouter une dimension supplémentaire. Mettre des mots et des regards aux émotions qu’ils propagent avec leurs instrument. Car les notes ne sont après tout que le véhicule des sensations et elles permettent de traduire toute infatigabilité du monde sensible.

 

Le concert que j’ai raté

C’est vrai, n’ai en effet pas eu la possibilité de me rendre au concert que j’avais envisagé. D’aucun émettra l’hypothèse que j’aurais pu arriver en retard ou même que je m’étais simplement trompé. Peut-être était-ce la faute de quelques indications inscrites dans cette langue martelée et inaccessible que l’on retrouve au delà du Rhin. Toutefois, il n’en était rien : la raison était bien plus étrange encore !

Vous ne le croirez surement pas, mais les places de concerts ont toutes disparu lors de la prévente. C’est peut-être parce que c’est nos voisins allemands sont vraiment friands de musique de chambre mais pourquoi ne pas simplement imaginer que la musique classique intéresse encore la population. Le seul cliché auquel nous n’échapperons pas : nous avions bien là affaire à une audience issue en majorité du troisième âge. En tout cas, ils sont là pour soutenir les jeunes musiciens et ça, impossible de leur enlever.

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Le programme que j’ai raté

Ludwig van Beethoven Streichquartett Nr. 1 F-Dur op. 18 Nr. 1

Frank Bridge Noveletten H.44

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Je m’accrochais malgré tout à quelques espoirs que quelqu’un, quelque part, propose un billet à la vente. Profiter du marché noir habituel du pré-concert afin que j’eusse moi aussi l’occasion de profiter d’un bain auditif. Je m’attendais à payer le prix fort pour pouvoir y accéder, mais je n’ai à vrai dire même pas eu la chance de casser la tirelire. Personne ne désirait se séparer de son ticket doré.

Je ne pouvais toutefois me résoudre à rentrer en France sans avoir pu assister à ce fameux festival. Par chance, il y avait encore une représentation le soir même. Il fallait donc que je trouve un plan et plutôt vite.

 

Le concert que je n’ai pas raté quatuor Esmé

Il n’y a pas trente-six solutions pour assister à un concert sans avoir de billet, enfin si, mais il ne s’agit pas ici d’un guide pour savoir “comment écouter de la musique live gratuitement”. Par conséquent, la seule solution viable que j’avais était de rencontrer le quatuor Esmé directement

Par chance, j’ai réussi à les apercevoir à travers le tumulte et la cohue de cette population qui évacuait les lieux alors qu’elles venaient de finir leur premier concert de la journée.

Je saisie alors l’occasion et me précipite vers elles en appelant le seul prénom dont j’étais à peu près certain de la prononciation. S’ensuit un léger moment de panique et d’incompréhension qui se soldera tout de même par un rendez-vous avez les quatre musiciennes juste avant le concert du soir.

Comme je le disais précédemment, c’est toujours instructif d’observer les musiciens hors de la scène. Cela donne la possibilité de se rendre compte de la nature, de la hiérarchie interne mais aussi des différentes sensibilités. Quoi qu’il en soit je ressortais de mon court instant dans la loge 23 avec une place pour le concert et de quoi aborder mon écoute sous un autre angle. Ne voulant pas non plus passer pour un profiteur, j’avais quand même pensé à leur ramener quelques cadeaux pour les remercier. J’aurais bien pris un album, mais elles n’en ont malheureusement pas encore de disponibles.

Et maintenant, place à la musique. Voyons enfin ce qu’elles nous ont préparé.

 

 

Le Tango d’Esmé

À peine montées sur scène, elles dévoilent le contenus de la soirée : quelques tangos d’Astor Piazzola.

D’abord, je suis pris d’un certain malaise. Je ne ressens pas la pulsation que doit donner le tango, cette musique sensuelle qui emporte les corps. Comme un boitement, les notes et les nuances titubent, manquent de confiance, alors que chaque instrument rentre l’un après l’autre. Les thèmes se plaignent et planent, sans se risquer, à la limite de la mollesse. Par la suite, quelques percussions sont lancés en toquant sur le dos du violon, comme un appel à la porte : Musique es-tu là ?

De toute évidence, elle ne répond pas…

Je me dis alors : “mince, c’est vrai que l’interprétation de la musique populaire avec un esprit classique est un pari risqué : où est donc passé ce marquage de la pulsation ?”

Puis, des crissement sauvages s’échappent de tous les instruments, de concert et parfaitement résolus. Je ne comprends alors plus ce qui m’arrive, comme pris au dépourvu. C’est alors un élan de virtuosité qui s’empare de la scène où chaque instrument, parfaitement dosé, fait danser des notes sensuelles dans une étreinte rythmée.

 

Un retournement inattendu

C’est alors que je comprends tout le génie de cette montagne russe émotionnelle qui venait de s’élancer à toute vitesse. Et qui ne devait s’arrêter qu’archet brandit à la fin de ce tourbillon d’émotions. Ce tour de force est en fait l’exact opposé de l’attraction à sensation dont j’ai fait mention. Contrairement à celle-ci qui ferait monter progressivement les attentes de l’auditeur jusqu’au climax, elle feint la faiblesse avant d’asséner un coup de marteau implacable.

Cette démarche bancale, en manque d’appuis, c’est l’expression de toute la fragilité d’un être. Dévoiler un instant sa faiblesse, et son humanité, son imperfection, c’est aussi accepter sa conditions d’humain. Ce qui est incroyable, c’est d’autant plus le fait de pouvoir maîtriser cette sensation avec tant de brio, exprimer du plus profond de son être toute l’ambivalence de l’existence.

C’est un choc, un frisson qui dure tout le long de l’interprétation. Il donne même tout son sens au nom même de l’ensemble : du vieux français, “Esmé” le voile de l’amour dont on est recouvert.

Suivez Le quatuor Esmé sur les réseaux sociaux pour connaître leur actualité.

 

Tout feu, tout flamme

C’est avant tout dans les contrastes que l’on ressent la forme. Comme si à l’absence qui naît de la présence, le bonheur de l’amour ne semait que souffrance dans son sillage. Un âtre dévorant qui nous brûle et ne cesse ensuite de nous échapper. C’est en fait exactement le sujet de cette musique. Une douce dissonance que l’on ressent lorsque le cœur s’emballe, la flamme, celle que l’on déclare avant qu’elle ne vacille dans l’oublie. Aussi, ce cycle, celui de la vie, la respiration, les pulsations qui viennent et s’en vont, qui font et défont. C’est enfin au gré du vent que les cendres se dispersent et se mêlent à ce qu’il nous reste de souvenirs.

Pour conclure elles nous montrent toute la puissance et la maîtrise de chacun de ses membres. Un mélange de douceur tumultueuse et de violence contrôlée, une fleur à épine, un miel dardé…

 

 

Qui est le Quatuor Esmé ?

Voici tout d’abord les quatre jeunes musiciennes talentueuses :

  • Wonhee Bae – Premier violon
  • Yuna Ha – Second violon
  • Jiwon Kim – Alto
  • Yeeun Heo – violoncelle

Le quatuor Esmé a premièrement été formé à Cologne en 2016. Dès lors elles n’ont cessé d’impressionner. Ce qui n’était d’abord que quatre amies formant un ensemble scolaire a pourtant rapidement évolué. Ainsi, elles n’ont eu d’autre choix que de se voyager à travers le monde pour proposer avec succès leur musique.

Je vous invite à écouter une captation de leur concert sur cette vidéo. De plus vous pouvez aussi vous rendre sur leur site internet et les retrouver sur les réseaux sociaux.

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