Depuis le début de l’été, une nouvelle a fait trembler les archetiers du monde entier. Ces artisans, au nombre d’environ 600 dans le monde, ont en effet appris la volonté du Brésil de cesser complètement la commercialisation de ce bois indispensable à l’archèterie moderne. En effet, ce pays d’Amérique du Sud dont l’essence à la couleur de braise est endémique a déclaré préparer un amendement visant à bannir tout commerce et toute circulation du pernambouc dans le monde. Cette décision sera prise lors du prochain rassemblement CITES du 14 au 25 novembre cette année. Se pose alors une question brûlante : assistons-nous à la fin du pernambouc ? Et devons nous redéfinir l’archet tel que nous le connaissions ?
La fin du Pernambouc
Pour commencer, je voulais rappeler que l’archet n’a pas toujours été en pernambouc. Toutefois, l’archet moderne, mis au point par l’archetier français François-Xavier Tourte à la fin du XVIIIe siècle était indissociable de cette essence exotique. Ce père de l’archèterie moderne a défini le son et la jouabilité que nous connaissons aujourd’hui grâce à son design et à l’utilisation d’une baguette façonnée dans ce bois. Cette association est à présent tellement ancrée dans les doigts et les oreilles des musiciens, qu’il semble inconcevable d’employer une autre essence.
Toutefois, après une première mesure de protection en 2007, à la CITES de La Haye qui avait vu la mise en place de certaines mesures de protection en classant l’espèce Paubrasilia echinata en ANNEXE II. Cette mesure demandait de répertorier tous les stocks existants dans toutes les entreprises. Ainsi, tout le bois présent dans les stocks en 2007 et donc antérieur à la convention est aujourd’hui le seul à être légalement utilisable. L’autre problème est que le Brésil n’a prévu aucun quota d’exploitation et d’exportation.
Le problème du bois illégal
C’est d’ailleurs intéressant de constater que l’archèterie vit sur ses réserves depuis 2007. Ou plutôt, qu’il existe un marché parallèle et illégal très développé pour fournir toute l’industrie en toute discrétion. C’est d’ailleurs ceux-ci qui ont été la cible des autorités brésilienne ces derniers mois. Non seulement les « braconniers » qui abattent les arbres en forêt mais aussi les transporteurs qui voyagent dans le monde entier avec leurs valises pleines de bois illégal. J’ai eu l’occasion de voir quelques documents montrant les saisies, et c’était assez impressionnant.
Mais dans ce cas, quel est l’avenir de l’archet en pernambouc ?
Les conséquences de la fin du pernambouc
En fait, si le pernambouc devait passer en ANNEXE I les conséquences seraient nombreuses. Aussi bien pour les archetiers que pour les musiciens. Tout d’abord, la raréfaction des matières premières va entraîner la hausse des prix, que ce soit du moderne ou de l’ancien. Ce qui affecterait le commerce et la consommation dans la même mesure.
À vrai dire, dès l’annonce de l’amendement, l’industrie de l’archet et de la musique s’est déjà préparé au pire. Ainsi, de nombreux fabricants se sont orientés vers des alternatives pour la production d’archets. Pour d’autres, il n’est pas question d’envisager de se réinventer et préfèrent jeter l’éponge. Bien sûr, les entreprises qui dépendent de la vente de ces archets n’ont pas hésité à acheter tous les stocks disponibles. En effet, c’est déjà la rentrée, et peut-être la dernière qui nous permettra de faire l’acquisition d’un archet en pernambouc comme nous le faisions avant.
Les archetiers
Concrètement, les artisans ne pourront plus utiliser que le bois datant d’avant 2007.
En fait, en cherchant à préserver la biodiversité, c’est la variété des archetiers qui va décroître. Même si ceux disposant d’assez de stock datant d’avant 2007 pourront sans doute continuer à produire sans problème. Ce sont toutefois les jeunes archetiers ou ceux qui n’ont jamais eu la possibilité de faire un stock qui se retrouveront dans une situation très précaire et devront faire un choix : transformer leur activité ou arrêter.
Le grand perdant de cette situation : le musicien
Malgré les transformations profondes que va subir l’industrie de l’archet, le musicien sera le plus touché par ces mesures. Premièrement, il y aura une augmentation des prix des archets en pernambouc neuf et anciens. Ensuite, il sera également très difficile de voyager avec ses instruments.
En fait, l’essence dont nous parlons ici sera strictement interdite, au même titre que l’ivoire, dans tous ses déplacements. Pour être plus clair, chaque archet devra posséder une autorisation officielle. C’est-à-dire qu’il vous faudra produire la certification pour l’archet que vous possédez ou le bois qui a servi à sa construction. Celle-ci devra prouver qu’il date d’avant la première date d’entrée au registre, en 2007. Sinon, vous vous exposez à de nombreux problèmes.
C’était déjà le cas avec les archets montés en ivoire et en écailles de tortue depuis de nombreuses années. Toutefois, tous les archets en pernambouc seront à présent soumis aux mêmes règles et autant dire que cela va demander énormément de travail. Voici un article qui date déjà d’il y a quelques années et qui raconte l’histoire d’un orchestre Suisse avant une tournée aux États-Unis. Il expose assez bien les nombreux problèmes auxquels devront faire face les musiciens professionnels et amateurs qui souhaitent voyager.
Le certificat d’instrument de musique (CIM)
Pour reprendre l’exemple spécifique qui existe aux États-Unis, tous les voyages nécessitent chaque instrument de posséder un permis spécial. En plus de cela, il n’y a que quelques points d’entrée dans le pays (17 aux États-Unis) dotés des services compétents pour valider les autorisations. Ce qui paraît extrêmement complexe pour l’organisation des voyages.
Mais avant tout, le musicien doit prouver que le bois utilisé date d’avant le 13 septembre 2007. Peu importe si l’archet date d’avant ou après cette date. Pour cela, une facture peut suffire, mais sinon il faudra se procurer un certificat de matériaux et le faire valider par les organisations spécifiques.
Je parlerai en détail de ce Certificat d’Instrument de Musique et comment l’obtenir en France dans un autre article.
Comment s’adapter à la situation ?
En fait, les syndicats et les professionnels vont tout faire pour que les restrictions soient moins fortes. Mais même s’ils réussissent, il faudra tout pour même s’adapter. Le tout est de savoir comment…
Bien sûr, cela fait longtemps qu’il existe des alternatives à tous les matériaux utilisables sur l’archet. Qu’il s’agisse de matériau synthétique ou d’autres essences, il y a toujours des solutions. Toutefois, il faut se rendre à l’évidence, utiliser un matériau différent aura toujours un impact. En fait, la sonorité et la jouabilité seront obligatoirement différentes. Toutefois, il y a déjà des solutions :
- Depuis toujours, des essences alternatives, locales ou exotiques ont été utilisées pour créer des archets. Peut-être qu’il faut explorer de nouvelles possibilités avec celles-ci ?
- D’autre part, il y a beaucoup d’innovation avec les baguettes en carbone et des musiciens choisissent parfois de n’utiliser que ça.
Un rempart contre la fin du pernambouc : L’IPCI
L’IPCI est une organisation qui lutte depuis de nombreuses années pour la protection du pernambouc. D’ailleurs, son action a été grandement saluée, et même qualifiée d’exemplaire par les participants à la CITES.
Si vous vous intéressez à leurs actions, je vous invite à suivre ce lien : http://www.ipci-comurnat.eu/.