À l’occasion du cinquantième anniversaire de l’école Jean-Baptiste VUILLAUME, j’ai été invité par le musée la lutherie de Mirecourt d’aborder le sujet du canif du luthier. Je vais donc parler ici de cet outil indispensable à la pratique de la lutherie en essayant de rester le plus personnel possible.
Le canif du luthier
Tout d’abord, le canif qu’est-ce que c’est ? Pour simplifier, c’est une lame qui ressemble à un couteau. D’ailleurs vous remarquerez la similitude avec le mot anglais “knife” qui prononcé à la Française ou “K-nife” présente d’étranges similitudes. Cette lame a la particularité d’être à la fois poussée et tirée, contrairement aux ciseaux et aux gouges. C’est vraiment l’outil le plus emblématique de l’atelier et il permet rapidement d’identifier la personnalité de son possesseur.
Les différents canifs de luthier
J’ai mis de nombreuses années avant de trouver les canifs qui me convenaient. Car je n’utilise pas un, mais plusieurs de ces lames. Chacune d’entre elle possède un rôle bien précis qui n’a que très peu évolué depuis longtemps. Par contre, avant d’en arriver là, j’ai dû passer par de nombreuses phases d’essais et de recherches. Aujourd’hui, je me sers de ces outils tous les jours et je leur trouve d’immenses qualités. Je vais vous décrire dans un premier temps quelles différences on peut trouver avant de vous présenter ceux que je possède.
L’acier
Tout d’abord, chaque canif va se différencier par l’acier qui le compose. Certains métaux sont plutôt mous, ce qui les rend plus faciles à modifier et à aiguiser, toutefois leur tranchant dure moins longtemps. D’un autre côté, il y a les lames très dures qui demandent beaucoup d’efforts pour les mettre en forme, mais dont le tranchant est à toute épreuve. Ensuite, il y a celles qui mélangent ces qualités dans ce que l’on appelle acier de Damas.
Il n’y a pas vraiment de bon ou de mauvais choix. Cela correspond à la manière dont l’artisan préfère utiliser ses lames.
Le biseau
Il existe trois types de biseaux différents :
- Tout d’abord, le biseau central qui peut être utilisé pour couper dans toutes les directions en poussant ou tirant. C’est le plus universel et le plus courant.
- Ensuite, le biseau à droite, qui, un peu comme une lame de rabot, possède un côté plat. Celui-ci permet un meilleur tranchant ainsi que la stabilité d’un côté plat, toutefois sa mobilité est plus réduite. Il n’est possible que de creuser en tirant avec cette lame pour un droitier.
- Enfin, le biseau à gauche, qui est l’exact inverse du précédent et qui permet à un droitier de creuser qu’en poussant.
Il n’y a en fait là aussi que le luthier pour faire un choix en fonction de ses besoins et ses affinités.
La largeur de la lame
Le canif de luthier va aussi posséder une lame de largeur différente, généralement de 3mm à 15mm. Le choix se fera avant tout en fonction de la finesse de l’opération à réaliser.
La forme de la lame
La lame peut se retrouver sous de nombreuses formes afin de répondre aux besoins de celui qui la manie. Il y a donc les lames toutes droites, mais aussi les courbes. Ces courbes peuvent se présenter sous une infinité de façons.
Le manche
Le manche est peut-être la partie la plus personnelle de l’outil. Il peut prendre un nombre incalculable de formes, plus ou moins élaborées. Chaque luthier a sa façon de faire, et il est très intéressant de regarder ces manches, car cela en dit vraiment beaucoup sur la personnalité de la personne qui l’utilise.
Mes canifs de luthier
Voici une présentation de mes différents canifs. Je vous explique également comment je m’en sers.
Le canif du luthier à chevalet
Ce canif est vraiment très fin, sa largeur est en effet d’environ 3mm. Il permet d’accéder à des endroits très exigus et sa lame très rigide lui confère un très grand contrôle.
Je me sers du canif à chevalet uniquement pour réaliser les ouvertures très fines sur les chevalets ou les ouïes. Je dois toutefois avouer que je préfère utiliser le canif à lame droite qui est plus stable et donne encore plus de contrôle grâce à sa rigidité.
Son manche est assez anguleux, simplement raboté et chanfreiné. J’ai trouvé que cette forme était plutôt efficace pour le contrôle dans la main et plus stable que la forme arrondie.
Le canif du luthier à lame droite
C’est probablement ma lame favorite, et j’adore m’en servir pour à peu près tout : chevalets de toutes tailles, contours des instruments, tailles de chanfreins, sculptures diverses, etc… Ses biseaux bien larges permettent de tracer bien droit et la qualité de l’acier fait que le bois se coupe comme du beurre. C’est vraiment très agréable à utiliser.
Son manche est de forme arrondie et plutôt fin.
Le canif du luthier à lame courbe
La lame courbe de ce canif plutôt large s’adapte à énormément de travaux de sculptures ainsi que pour fendre de petites pièces de bois.
Le canif du luthier biseau à droite
J’utilise ce canif principalement pour les pieds de chevalet et les âmes. Il a une lame plutôt large de 15mm et son manche est assez imposant avec des faces plates. Cela me convient assez bien parce que j’ai une technique particulière pour tailler les chevalets. C’est toutefois assez difficile à expliquer.
Le couteau à détabler
Ce n’est rien de moins qu’un couteau à beurre. C’est une lame très fine et souple qui peut se glisser entre deux pièces de bois maintenues par de la colle animale cristallisée. Elle est aussi utile pour fendre certaines essences comme l’épicéa.
Le ciseau-canif
Tout d’abord, je ne connais absolument pas le nom de cet outil. C’est pourquoi si un spécialiste passait par là et pouvait m’en donner le nom… Je serai heureux de l’apprendre.
Quoi qu’il en soit, c’est une lame à mi-chemin entre le ciseau et le canif. Elle possède un double biseau et s’utilise comme un poignard. C’est très efficace pour s’en servir comme canif dans des angles assez inaccessibles.
Dans mon activité, le canif de luthier est sacré
Je n’ai jamais été un fervent supporteur de la réponse universelle. C’est pour cela que j’utilise plusieurs canifs. Je ne pourrais pas aujourd’hui me passer de l’un d’entre eux sans être handicapé dans mon travail. Toutefois, même si je ne pourrais pas m’en passer, je ne peux pas les considérer comme les outils les plus importants pour moi. D’ailleurs, je ne saurais pas réellement dire quel outil est le plus important pour moi. Ils possèdent tous une part importante dans ma collection même s’il y en a quelques-uns que j’affectionne tout particulièrement.
Le prêt, un sacrilège
Pour finir, j’ai vraiment horreur de prêter mes outils à lames, les canifs en particulier. Je les considère vraiment comme intime et j’ai vraiment un pincement au cœur quand je les vois utilisés.
Je prie en secret pour qu’ils ne soient pas abîmés. Une lame dentelée, il n’y a rien de pire.
En fait, je devrais les faire en double pour éviter ce stress…